Sarah Maldoror:
remise des insignes d'officier dans l'ordre de Légion d'honneur
presentation of the insignia of Officer of the National Order of the Legion of Honor
3 mars 2011 | 3 March 2011
Français ci-après
Speech by Frédéric Mitterrand, Minister of Culture and Communication, given on the occasion of the ceremony to appoint Sarah Maldoror as the Knight of the National Order of Merit by the French government. Translation from French by Beti Ellerson
In the world of black Caribbean and African cinema, you are one of the only filmmakers who has succeeded with such strength and character in bringing to the screen the voices of the persecuted and the disaffected. For you, the struggle, cinema and liberation, constitute the cardinal elements in today’s Africa. Hence, through cinematographic creation, and more broadly cultural creation, you have inscribed a militant approach that has always denounced colonialism in whatever form. And I quote you, if you don’t mind: "For many African filmmakers, cinema is a tool of revolution, a political education in order to bring about a transformation in consciousness. It was part of the emergence of a Third World Cinema seeking to decolonize the mind to create radical changes in society."
Discours de Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l'occasion de la cérémonie de remise des insignes d'officier dans l'ordre de Légion d'honneur à Sarah Maldoror
Chère Sarah Maldoror,
Baudelaire, qui, dans Mon coeur mis à nu écrivait: « Il n’y a de grand parmi les hommes que le poète, le prêtre et le soldat, l’homme qui chante, l’homme qui bénit, l’homme qui sacrifie et se sacrifie. Le reste est fait pour le fouet ». Si vous dites ne pas savoir écrire vous-même, votre oeuvre cinématographique a pourtant fait connaître comme aucune autre, à travers les mots des autres et leur poésie, les idées qui ont porté la lutte pour les indépendances africaines, et les grandes voix de la réalité postcoloniale et de la diversité.
Dans l’univers du cinéma noir antillais et africain, vous êtes l’une des seules cinéastes qui soit parvenue avec autant de force et de caractère à porter à l’écran les voix des persécutés et des insoumis. Pour vous, la lutte, le cinéma et la libération constituent autant de points cardinaux de l’Afrique d’aujourd’hui. Vous inscrivez ainsi la création cinématographique, et plus largement culturelle, dans une démarche militante qui dénonce pour toujours les colonialismes. Je vous cite, si vous le permettez: « Pour beaucoup de cinéastes africains, le cinéma était un outil de la révolution, une éducation politique pour transformer les consciences. Il s’inscrivait dans l’émergence d’un cinéma du Tiers Monde cherchant à décoloniser la pensée pour favoriser des changements radicaux dans la société ».
Vous auriez voulu être tragédienne. Après quelques essais au théâtre, vous participez à la création en 1956 de la première troupe noire à Paris, « Les Griots », puis partez à Moscou dans le début des années 60 pour apprendre le métier de cinéaste sous la direction de Gherassimov et Donskoï au studio Gorki, où vous rencontrez le grand Ousmane Sembène, qui nous a quitté il y a 4 ans déjà. Votre premier documentaire en 1968, Monagambé, inspiré par le scénario de l’écrivain angolais Luandino Vieira, alors emprisonné par le pouvoir colonial portugais, raconte l’histoire d’un Angolais en prison et traite de la torture en Algérie. Votre coup de maître se voit décerner plusieurs prix, dont celui de meilleur réalisateur, par le Festival de Carthage. Dans Sambizanga, que vous tournez avec des acteurs non professionnels affiliés au Mouvement de Libération du Peuple Angolais et au Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert, vous faites un portrait sans retouche de la résistance angolaise, dont les réalités vous ont été plus que familières, vous qui avez été l’épouse de Mário de Andrade. Ce film, vivement récompensé, assoit votre réputation d’artiste engagée.
Vous privilégiez alors le format du documentaire car il vous permet de définir au travers de portraits d’artistes, de portraits de précurseurs - je pense en particulier à Aimé Césaire, Le masque des mots, de 1987 - l’horizon d’attente nécessaire à la réhabilitation de l’histoire noire et de ses figures les plus marquantes. Parmi la trentaine de documentaires et films que vous réalisez, plusieurs thèmes majeurs sont à retenir : les guerres africaines contemporaines de libération, l’entrée des femmes dans la lutte.
Vous avez d’ailleurs fortement contribué à combler le déficit d’images de femmes africaines tant derrière que devant la caméra. Vous mettez également l’acuité de votre regard au service de la lutte contre les intolérances et les stigmatisations de tous types, comme notamment dans votre documentaire de 1984 Le racisme au quotidien. Vous accordez aussi une importance fondamentale à la solidarité entre les opprimés, à la répression politique, aux atrocités et exactions commises en temps de paix. Enfin, vous célébrez l’engagement de l’artiste et l’art comme acte de liberté, avec des portraits de Léon Gontran Damas, de Louis Aragon, ou encore de Toto Bissainthe.