Nadège Batou |
Je suis arrivée au cinéma parce que je voulais faire la télé autrement, puisque, à la base, je suis journaliste reporter. Parce que les médias au Congo jusqu’en 2007 étaient des médias de proximité, je voulais que mon travail soit aussi vu ailleurs.
Tout commence en 2001 lorsque je me rends à Pointe-Noire (deuxième ville du Congo) pour mes vacances, j’intègre une équipe de jeunes qui postulaient à TPT (Télé Pour Tous) qui est une des premières chaînes de télévision privée au Congo. Nous étions là pour suivre une formation en journalisme. Il nous avait été demandé de créer le service de rédaction. Nous étions une douzaine et tout de suite, le formateur qui est un grand journaliste au Congo, M Dulcine Pambou, a décelé en moi l’esprit d’une aventurière et donc je me retrouve dans l’équipe du reportage. À partir de là commence donc pour moi une grande aventure de médias qui va durer jusqu’en 2004.
En 2004, me sentant d’humeur d’aller vers l’inconnu, je m’installe à Brazzaville où je passe quelques émissions à caractère social dont je vais être la conceptrice, la productrice, la présentatrice et la cadreuse. Pendant 6 mois, j’anime donc l’émission « L’autre regard ». Une qui parle de la vie exceptionnelle des personnes vulnérables dans la société: handicapés physiques et mentaux, Orphelins…
Entre juin 2004 et décembre 2006, je suis embauchée dans un grand restaurant de la place comme caissière et chargée au marketing. Mais une année et demie plus tard, comme l’adage français le dit si bien : « chassez le naturel, il revient au gallot », le goût de la télévision me revient mais plutôt par le cinéma. Alors je fais un reportage sur les enfants de la rue, que je veux transformer en film documentaire. Mais n’ayant jamais fais de formation de cinéma, je me rabats vers un réalisateur, Alain Nkodia, avec qui nous réalisons donc Ndako ya bandeko, le combat de Rod. Une année plus tard je réalise mon deuxième film Ku nkélo et aujourd’hui j’en suis à ma troisième réalisation avec le film de stage que j’ai tourné à Paris, en printemps dernier : « Dallas de Paris ». Et bien d’autres projets encore.
Tu as collaboré avec Alain Nkodia sur le film Ndako ya bandeko qui a été présenté au Festival de Cannes en 2007. Peux-tu parler de tes expériences avec ce film et sa réception?
Ndako ya bandeko, le combat de Rod, était une aventure aussi bien passionnante que douloureuse. Je m’explique : lorsque je me rends chez Alain Nkodia avec mes rushs sur le reportage des enfants de la rue, je suis animée par une passion intense et naïve. Ne connaissant pas encore les ficelles du métier de cinéma, je me suis fait avoir sur cet investissement. Mais on va dire que c’était mon baptême.
Grâce à ce film, j’ai côtoyé le monde des enfants de la rue et je peux vous dire que c’est un monde très complexe. Dans ce sens qu’il peut être rude et passionnant lorsqu’on s’approche de plus près. Grâce au jeune Rod, les autres jeunes nous ont reçus avec beaucoup d’ouverture. Et aujourd’hui lorsque je rencontre un enfant de la rue j’éprouve un sentiment particulier à son égard: le respect pur et simple.
Le film avait été très bien reçu et aujourd’hui le sujet de film, le jeune Rod, ayant drépanocytose total, diabétique, orphelin de père et de mère, enfant de la rue, poursuit ses études de médecine à Paris et y vit dans des bonnes conditions. Le film a participé à plusieurs festivals et à chaque fois que je le projette au Festival des 7 Quartiers à Brazzaville, le public est toujours en émoi.
Tu a eu une formation à Africadoc. Comment ça s’est passé au niveau de tes études et les projets.
Lorsque la première formation Africadoc s’est faite à Brazzaville, c’est par l’entremise d’un ami réalisateur, Rufin Mbou Mikima. Quand j’intègre l’équipe des stagiaires, j’avais déjà coréalisé le film Ndako ya bandeko. J’avais souhaité faire cette formation pour combler les lacunes que j’avais dans ce domaine. C’était une aubaine. Avec mon projet de film: « La guerre de succession », j’apprends pendant deux semaines, ce que c’est que l’écriture d’un film documentaire. Et bien que ce film n’ait encore été réalisé, je peux dire que cette formation m’a beaucoup aidé dans la suite de mes projets.
Ku N'kélo, à la recherche de l'eau. Qu’est-ce qui t’a poussée à aborder le sujet de l’eau au Congo ?
Ku N’kelo est un coup de gueule à l’endroit des autorités de notre pays, vu la situation catastrophique du manque d’eau potable dans notre pays. Quand j’ai fait le film, je ne pensais pas que ça prendrait une envergure aussi grande. Mais, à cet instant, j’ai compris que le problème d’eau est un problème planétaire.
Pourquoi une telle controverse autour de ce film?
Le coup de gueule s’est fait sentir lorsqu’en rentrant du boulot, je reçois une facture d’eau alors que cela faisait déjà deux mois que je n’avais pas reçu une goutte chez moi. Je comprends alors l’arnaque de la SNDE (Société Nationale de Distribution d’Eau). Ainsi à partir de là, je me pose la question à savoir : pourquoi vivons-nous une telle situation alors que nous sommes entourés d’eau? Ainsi, faisant partie des questions taboues de la société, la polémique s’est créée toute seule.
Quelques réflexions sur le cinéma au Congo Brazzaville?
Le problème du cinéma au Congo Brazzaville (comme dans plusieurs autres domaines) est une affaire de gouvernance. Mais bon! Nous espérons que quand chacun comprendra ce qu’il a à faire, les choses changeront. Pour l’instant nous continuions à espérer.
Je vois que tu es très active dans le monde d’audiovisuel. Quels sont tes projets au présent?
2010 a été une année très chargée : Juste après la fin de la deuxième édition du Festival des 7 Quartiers en décembre dernier, j’ai été reçue en stage de formation documentaire, pendant trois mois aux Ateliers Varan à Paris. J’ai réalisé donc un film de stage de 30min : « Dallas de Paris ». Un documentaire sur une adepte de la SAPE (la Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes).
À mon retour au Congo, j’ai été prise comme cadreuse par la maison de production, basée en France, BONZ Communication, pour le tournage d’un film sur les cinquante ans du Congo, Couleurs du Congo, réalisé par Hassim Tall. Pendant un mois, j’ai filmé toute la partie sud de mon pays et j’ai découvert les richesses qu’il englobe.
Depuis le mois d’août, je suis sur la réalisation de la deuxième saison de la série « Les Boulistes » (6min). En coproduction et coréalisation avec un autre réalisateur, Amour Sauveur, « Les Boulistes » est une sitcom humoristique de douze épisodes indépendants les uns aux autres. Déjà sélectionnée à deux festivals : FESTEL 2009 (Cameroun) et à Rotterdam 2010, cette série est née en 2009 rien qu’avec beaucoup de volonté et peu de moyens. Mais pour cette deuxième saison, nous avons obtenu le financement du FNUAP (Fond des Nations Unies pour la Population). Au même moment, je suis dans les préparatifs de la troisième édition du *Festival des 7 Quartiers qui se tiendra du 06 au 12 décembre prochain.
Et le future? Tes rêves?
Bien que je sache où je vais, je ne peux rien prédire sur le future. Mais ce qui est sûr c’est que je réalise un film dans les prochains jours. En 2011, je serais au Festival de Rotterdam, au FESPACO et ailleurs si Dieu le veut bien. Merci beaucoup !
*Le cinéma itinérant des sept (7) quartiers est un festival qui se déroule tous les 4 mois, pendant sept (7) jours, dans les sept (7) arrondissements de Brazzaville. Il permet à la population Congolaise d'être en contact permanent avec son cinéma afin de lui redonner l'identité culturelle qu'elle a perdue depuis plusieurs décennies. À l’occasion du 3ème édition du Festival 7 Quartiers, l'honneur à la femme cinéaste du Congo et d'ailleurs: Annette Kouamba Matondo, Noëlle Tsietsie, jeunes cinéastes congolaises et Monique Phoba de la RDC.
Conversation with Nadège Batou by Beti Ellerson, Octobre 2010
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