Fatma Zohra Zamoum nous parle de son film, Kedach ethabni |Combien tu m’aimes ? (2011) qui examine l’amour, la tradition et la modernité à travers trois générations d’une famille algéroise.
Fatma Zohra, à travers Adel et le monde qui l'entoure votre film examine la tradition et la modernité dans le contexte intergénérationnel, parlez-nous de votre désir d’aborder ce thème et votre approche.
La tradition et la modernité ne sont pas des périodes historiques séparées ou cloisonnées dans la vie des individus ou des sociétés extra occidentales (on peut le voir au Japon ou dans d’autres cultures). Dans chaque individu il y a des aspects progressistes et d’autres réactionnaires. Chacun fait sa propre synthèse de la tradition ou de la façon d’être moderne, c’est cette complexité qui m’intéresse chez les individus ou dans les dynamiques des sociétés. Le niveau critique que peuvent atteindre certaines sociétés pour discuter les impératifs de conformité (de la tradition) qu’ils se logent dans les pratiques sociales, religieuses, culturelles ou même de phénomène de mode.
J’ai voulu discuter cela dans le contexte d’une famille algéroise de classe moyenne sur trois générations de nos jours. Et il s’agit avant tout de sentiments, de partage et de transmission entre les individus d’une même famille.
La grand-mère demande à son petit-fils Adel : "Combien tu m'aimes ? D’où le titre du film...
Oui, le film porte le titre du propos même du film : l’amour en question. La question est assez rituelle dans la société algérienne entre les adultes et les enfants. Elle dit la force du lien mais aussi la nécessité de le construire. Le projet du film est de voir cet amour grandir entre l’enfant et sa grand-mère pendant la durée du film.
Au-delà de cette relation, il y en a d’autres où se déclinent les relations amoureuses : l’amour qui se termine entre les parents de l’enfant, l’amour qui nait entre des jeunes voisins, l’amour construit sur la durée entre les grand parents sur un mode raisonnable ou de devoir, etc.
Votre portrait de la grand-mère Khadidja et de la voisine Farida, c'est un regard féministe sur deux générations ?
Oui certainement, j’ai un grand intérêt pour les personnages féminins et pour la complexité de leur intériorité. J’admire vraiment, sans comprendre, l’extrême disponibilité de certaines femmes pour les membres de leur famille, comme l’est la grand-mère Khadidja, comme peut l’être ma mère et de nombreuses autres femmes de cette génération, autour des soixante-dix ans.
Quant à Farida, c’est une jeune fille d’une vingtaine d’années, ayant vécue la décennie noire en Algérie sans la comprendre, elle se débrouille donc avec les codes et contraintes qui sont nées de cette période (une nouvelle forme de religiosité ou d’exhibition de celle-ci). Elle se débrouille avec ses amours naissants et ses désirs de liberté mais elle apprend également des choses de Khadidja pour imaginer un futur (ellipsé dans le film).
La relation qu’il y a entre Khadidja et Farida tient d’abord à leur voisinage, elle se transforme avec l’arrivée de l’enfant Adel et les changements qu’apporte Khadidja a son mode de vie par amour pour l’enfant.
Comment s'est passé le tournage, votre expérience avec les acteurs, dans l'environnement ?
Le tournage a été difficile du point de vue des conditions, 5 semaines de tournage avec comme personnage principal un enfant et des personnes âgées. Mais il a été formidable du point de vue de la rencontre avec des comédiens de grand talent et avec une équipe soudée et très professionnelle.
Le fait de réaliser et de produire en même temps pour moi a été une charge de travail énorme et épuisante mais il n’y avait pas le choix, c’était comme ça ou alors cela devenait infaisable.
Il y avait des aventures formidables mais j’étais trop occupée à réaliser et produire pour les partager avec l’équipe, je n’ai pas pu apprécier le moment et même pendant les festivals cela a été la même chose, trop de travail lié à la distribution du film. Enfin, c’est comme ça.
Les réactions du public ? En Algérie et ailleurs ?
L’accueil du public a été partout formidable. Le film a été reçu comme un film qui parle du voisin ou de soi-même, partout, à Palm Springs autant qu’à Tubingen ou à Saint-Denis, les spectateurs ont aimé les personnages et compris leurs problèmes. C’est un motif réel de satisfaction.
En Algérie, le film sort cette semaine et la rencontre avec le public commencera maintenant, donc j’attends beaucoup de cette rencontre. Mais à l’avant-première déjà, l’accueil a été très enthousiaste à part pour ceux qui ne supportent pas la durée du plan au cinéma ou ceux pour qui le sujet paraît trop évident, domestique presque.
Entretien avec Fatma Zohra Zamoun par Beti Ellerson, mai 2012.