22 October 2012

Aïssata Ouarma : Le Silence des autres


Aïssata Ouarma, lauréate du meilleur scénario au Festival Ciné Droit Libre en 2010 pour le documentaire Le Silence des autres, nous parle de son film et le phénomène inquiétant qu’il traite sur les jeunes filles du village qui viennent en ville pour se faire embaucher comme employées de maison.

Aïssata parle nous un peu de toi-même et comment tu es venue au cinéma.

J’ai fait une maîtrise dans la filière AGAC (Art, Gestion et Administration Culturelle) option Art Dramatique à l’université de Ouagadougou. En année de licence, je me suis beaucoup intéressée à l’écriture de scénario documentaire, mais je n’avais aucune notion en écriture de scénario, je suis donc allée vers une école de cinéma, mais j’étais malheureuse de savoir que je ne pouvais prétendre à cette école car la scolarité n’était pas à ma porté. Je côtoie dès lors les étudiants en cinéma pour lire leur scénario et avoir une notion en écriture. En 2009 j’avais pu participer pour la première fois à une formation en scénario d’une semaine à l’Institut français. La même année, je postule au concours du meilleur projet de film documentaire sur « les droits humains et la liberté d’expression » au Festival ciné droit libre avec mon projet intitulé « Entre le marteau et l’enclume » traitant des conséquences du divorce sur les enfants (dans ce projet, je m’intéresse particulièrement à ma famille). Le projet est présélectionné au concours et classé parmi les trois premiers, mais ne gagne pas le premier prix. En 2010 je reviens à la charge avec « Le Silence des autres » scénario qui porte sur les conditions de vie des jeunes filles de ma région qui rejoignent la capitale pour travailler comme employées de maison. Cette fois est la bonne, je remporte le premier prix.

Qu’est-ce qui t’as intéressé d’approcher le sujet des bonnes qui viennent de la campagne en ville pour se faire embaucher ?

Ce qui m’a intéressée d’approcher le sujet des bonnes qui viennent de la campagne vers la ville pour se faire embaucher est parti du problème d’eau dans mon village. En 2006 j’ai adressé une demande auprès de la coopération Flamande pour une pompe dans mon village et en 2007 la demande a été accordée mais malheureusement l’entrepreneur au Burkina qui s’occupait des travaux à très mal fait le travail. La pompe existe certes, mais reste comme un décor car les villageois n’ont obtenu aucune goutte d’eau. Je me suis donc engagée à écrire un scénario sur le problème d’eau dans mon village, mais, pendant mes repérages, je me suis rendu compte qu’il y avait un autre problème plus grave : l’exode des filles mineures vers la capitale. En conséquence j’ai commencé à écrire sur l’exode et l’exploitation des filles tout en évoquant le problème de l’eau dès le début du film—dans mon village il n’existe pratiquement pas de filles de 9 ans, elles sont dans la capitale comme bonne.

Le film a été primé au Festival Ciné Droit Libre en 2010, dans quel contexte est-il engagé pour défendre les droits humains ?

Le film est engagé pour défendre les droits humains en ce sens que l’enfance de ces filles est sacrifiée par leurs propres parents, exploitées depuis le village par un intermédiaire qui reçoit 10 voire 15 pourcent sur chaque somme versée. À chaque poste de police, la somme est doublée vu qu’elles sont mineures. Et ne possédant pas de pièce d’identité, arrivées dans la capitale, elles sont très souvent exploitées par leur logeur et par leur employeur.

La fondation Terre des Hommes avait aussi un rôle important dans le film et la production de ce dernier. Le film était projeté dans divers lieux, surtout à Ouagadougou. Quel impact a-t-il eu concernant la sensibilisation des gens sur la situation de ses jeunes filles?

Avant de me présenter au concours avec mon projet, j’ai participé pendant dix mois aux rencontres organisées par la fondation pour les filles et lorsque j’ai eu le premier prix, les responsables de la fondation m’ont promis de contribuer à la production de ce film et ils ont tenu leur promesse. En participant à leurs rencontres, cela m’a permis de filmer facilement car les filles avaient plus confiance.

Aujourd’hui bon nombre de personnes savent maintenant que ces filles sont protégées par des structures comme L’ONG Terre des hommes. Après mon film, l’ONG Terre des hommes a aussi réalisé des spots de sensibilisation pour lutter contre l’exploitation et la maltraitance des bonnes. Mon film ainsi que ces spots passent beaucoup en ce moment sur la télévision nationale.

Est-ce que le but est également de sensibiliser les gens du village qui ont aussi certaines idées préconçues de la ville?

Le but premier de ce film est de sensibiliser les parents qui laissent partir leur fille qu’ils ne reverront sans doute jamais, et de désillusionner les filles quant à l’avenir qu’elles espèrent meilleur en ville.

J’ai été touchée par la tristesse des familles qui attendent des nouvelles de leurs filles. Celles-ci en ville ont l’air un peu perdues. J’étais aussi choquée d’entendre le niveau d’abus auquel ses filles sont sujettes, physique et psychologique. Et ce qui m’a dérangé le plus c’est le constat de Sali Ouattra : « Quand une femme embauche une fille parfois elle la voit d'une autre façon, comme un animal, comme si la fille n'a pas le même sang qu'elle, comme si elle n’était pas un individu à part entière. » C’est quand même incroyable qu’une femme puisse se comporter ainsi envers une autre personne, une jeune fille ! Que ce besoin de pouvoir puisse la pousser vers des gestes inhumains ! J’imagine qu’il y avait des choses que tu as pu découvrir pendant tes recherches et le tournage qui pour diverses raisons ne se trouvent pas dans le film…

Il y a eu beaucoup de choses que j’ai eu envie de dire mais vu que je devais faire un documentaire de 26 minutes, je n’ai pas pu tout dire, par exemple la peur et l’angoisse des filles qui attendent leur nouvel employeur. La plupart des employeurs discutent le salaire de la fille par rapport à sa force physique et dès que le marché est conclu la fillette est enlevée. C’est comme au marché à bétail. Rarement elles trouvent une famille accueillante, très souvent elles débarquent en enfer. Et aussi pour la plupart des filles interviewées leur patronne était à côté du même coup, elles étaient limitées dans leurs réponses. Je n’ai pas pu montrer l’invocation des divinités protectrices dans le village avant le départ des filles. Si un autre producteur s’intéressait à ce film, j’aimerais en faire un long-métrage. 

J’ai un nouveau projet aussi sur le viol sexuel des mineures et je suis à la recherche d’un producteur. Je vais au Sénégal en octobre 2012 pour une résidence d’écriture sur mon nouveau projet qui a déjà bénéficié d’une première résidence organisée par Africadoc, douze pays en tout participeront. J’ai déjà assisté un documentariste Français et j’espère encore travaillé avec d’autres réalisateurs pour acquérir d’autres expériences. Je reste à la disposition de tous ceux qui veulent travailler avec moi.

Le film d’Éléonore Yaméogo, Paris mon paradis, parle aussi du rêve des gens d’aller ailleurs pour améliorer leur situation et celle de leur famille. Vois-tu un lien entre les deux situations ?

L’exode rural et l’immigration sont deux phénomènes qui décrivent finalement la même réalité, car dans les deux cas les concernés quittent leur village ou leur pays laissant derrière eux parents et amis à la recherche d’un avenir meilleur, mais très souvent leur rêve se transforme en un véritable cauchemar.

Entretien avec Aïssata Ouarma par Beti Ellerson, octobre 2012.