19 March 2019

Beatrice : un siècle | (a century) de/by Hejef Charf (Tunisia | Tunisie)

Beatrice : un siècle | (a century) de/by Hejef Charf (Tunisia | Tunisie)

[English] Français ci-après
Synopsis
Bice Beatrice Slama, 95 years old, Tunisian, communist, Jewish, feminist, specialist in women's literature. She has been actively involved in the political movements of the twentieth century. She talks about the Tunisian Communist Party and the Jewish and Arab youth who discovered each other in fraternity and love; her fight for the independence of Tunisia, the forced departure of the Jews, May 68, the adventure at the University of Vincennes. Love, desire, sexuality according to Colette, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras are discussed at length and continue to be hot topics of the day. The history of feminism is told with the words of Christine de Pizan and Hubertine Auclert and through the works of women in cinema, photography, painting, across the centuries. Beatrice, is a life of commitment and knowledge.

About the Filmmaker

Hejer Charf is a Canadian filmmaker and producer of Tunisian origin. She has directed several short and medium-length films, visual installations and documentaries. Her feature film Les passeurs received the Seal of Peace from the city of Florence, Italy. Around Maïr was released in Paris in 2016. She produced Victoria, a fiction written, directed and performed by Anna Karina. She has produced the concerts of Anna Karina and Philippe Katerine in Quebec.

The Filmmaker's Note of Intention
"I want you purely Unfaithful/ if I am of Faithful origin /
if I am Jewish, be Arab, / let me love you, /
let us love each other with our two innocent differences" Hélène Cixous

« je te veux purement Infidèle/ si je suis d'origine Fidèle,/ 
si je suis juive, sois arabe,/ laisse-moi t'aimer, /
aimons-nous avec nos deux innocences différentes,» 

We are Tunisians. She is Jewish. I am Muslim. Her committed, generous and learned eyes on the world extend to infinity, to the religions and the country that we have both left.

I met Bice Beatrice Slama in 2016; she was 93 years old. She came to see my film, Around Maïr, which talks about women's literature. She spoke first: "I will let my comrades talk about feminism; “I would like to talk about the form of the film and this long dark shot that recalls the cinema of Duras.” Immediately, I was thrilled and seduced. Two days later, I was dining at her house in Vincennes. I left unsettled, impressed by her precise presence, by her concise speech, erudite, without nostalgia or bitterness. She put her story in the grand History and repeated a phrase by Sartre: "Half victims, half accomplices, like everyone else.” She told me about her passion for books, the Tunisian Communist Party and the Jewish and Arab youth who discovered each other in fraternity and love, her fight for the independence of Tunisia, the houses that were seized from her because she was Jewish, of her departure for France, of May 1968 when she was reborn as an activist, of the adventure at the University of Vincennes, of Colette, whom she loved so much, of feminist texts, of her friends: Madeleine Rebérioux, Hélène Cixous, ...

Three days later, I returned with a small camera to prepare for the recording of this concentrated history. Bice Beatrice Slama is resolutely political and profoundly literary. A discreet life that has actively traversed the 20th century. I wanted to traverse it again with her. I wanted to give her the entire space, the whole duration of the film. I warned her that she would be the only speaker in the feature-length film and I will be alone behind the camera. She immediately went to work; she read, reread her research, books, Duras, de Beauvoir, Colette ... she had an obsession with conversation, anecdotes and rewrote her mediations, her responses. She told me she felt like she was taking her exams! Her story navigates the course of history. Her discourse is an expanding source that opens the film to other subjects, other images. The history of feminism is told with the words of Christine de Pizan and Hubertine Auclert and through the works of women in cinema, photography, and painting across the centuries. Beatrice will remain alive until the end of the film. While editing the film in Montreal, she warned me from time to time that she could no longer wait. I went to show her the film in September 2018, I lay down beside her on her medical bed. She watched nonstop for 97 minutes. She looked at me and took my hand. Bice Beatrice Slama died a few days later. She told me that our lives, our bodies, end, and there is nothing after, there is neither the beyond, nor heaven. She spoke of death with clarity, without fear. During the shooting about the departure of Tunisia, she said to me: "At the moment of departure, the first thing that I said to myself: But I will not be buried in the Borgel!" 

The tears welled up inside me, I lowered my head, we did not want tears in the film, she returned to her dialogue with her usual solemnity. This phrase and similar ones are not in the film; they are invisible, in an underground presence that runs throughout the entire film. Beatrice inspired me in this way: not to say too much, not to show too much, to put our story in the grand History. Keep our pain in the background to make way for the future. And facing the breakdown of ideas that carried her, she continued saying: "I dare to hope for a burst of humanism."

[Français]
Synopsis
Bice Béatrice Slama, 95 ans, Tunisienne, communiste, juive, féministe, spécialiste de la littérature des femmes. Elle a traversé activement les mouvements politiques du vingtième siècle. Elle raconte le parti communiste tunisien et la jeunesse juive et arabe qui se découvrait dans la fraternité et l'amour ; sa lutte pour l'indépendance de la Tunisie, le départ forcé des Juifs, Mai 68, l'aventure de l'université de Vincennes. L'amour, le désir, la sexualité selon Colette, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras sont longuement évoqués et demeurent d'une actualité brûlante. L'histoire du féminisme est dite avec les mots de Christine de Pizan et Hubertine Auclert et par les œuvres des femmes dans le cinéma, la photographie, la peinture à travers les siècles. Béatrice, une vie d'engagement et de savoir.

À propos de la réalisatrice
Hejer Charf est réalisatrice et productrice canadienne d'origine tunisienne. Elle a réalisé plusieurs courts et moyens métrages, des installations visuelles et des documentaires. Son long métrage LES PASSEURS a reçu le Sceau de la Paix de la ville de Florence, Italie.  AUTOUR DE MAÏR est sorti en salle à Paris en 2016. Elle a produit VICTORIA, une fiction écrite, réalisée et interprétée par Anna Karina. Elle a produit les concerts d'Anna Karina et Philippe Katerine au Québec.

Note d'intention de la réalisatrice
« je te veux purement Infidèle/ si je suis d'origine Fidèle,/ 
si je suis juive, sois arabe,/ laisse-moi t'aimer, /
aimons-nous avec nos deux innocences différentes,»   Hélène Cixous                          

Nous sommes Tunisiennes. Elle, juive. Moi, musulmane. Son regard engagé, généreux et savant sur le monde étend à l'infini les religions et le pays que nous avons toutes les deux quittés.

J'ai connu Bice Béatrice Slama en 2016, elle avait 93 ans, elle est venue voir mon film, Autour de Maïr qui parlait de la littérature des femmes. Elle a pris la parole en premier : « Je vais laisser mes camarades parler de féminisme; j'aimerais parler de la forme du film et de ce long plan noir qui rappelle le cinéma de Duras. »  J'étais tout de suite emballée et séduite. Deux jours après, je dînais chez elle à Vincennes. J'en suis sortie troublée, impressionnée par sa présence précise, par sa parole concise, érudite, sans nostalgie ou amertume. Elle mettait son histoire dans la grande Histoire et répétait la phrase de Sartre : « À moitié victimes, à moitié complices, comme tout le monde. » Elle m'a parlé de sa passion des livres, du parti communiste tunisien et de la jeunesse juive et arabe qui se découvrait dans la fraternité et l'amour, de son combat pour l'indépendance de la Tunisie, des maisons dont elle a été expropriée parce qu'elle était juive, de son départ pour la France, de Mai 68 où elle renaît comme militante, de l'aventure de l'université de Vincennes, de Colette qu'elle aimait tant, des textes féministes, de ses amies : Madeleine Rebérioux, Hélène Cixous, ...


Trois jours après, je suis retournée avec une petite caméra pour préparer l'enregistrement de ce concentré d'histoire.  Bice Béatrice Slama est résolument politique et profondément littéraire. Une vie discrète qui a traversé activement le 20ème siècle. Je voulais le retraverser avec elle. Je voulais lui donner tout l'espace, toute la durée du film. Je l'ai prévenue qu'elle serait la seule intervenante du long-métrage et je serai seule derrière la caméra. Elle s'est immédiatement mise au travail; elle a lu, relu ses recherches, des livres, Duras, de Beauvoir, Colette... elle avait la hantise du bavardage, de l'anecdote et a rédigé ses interventions, ses réponses. Elle me disait qu'elle avait l'impression de passer l'agrég ! Son récit remonte le cours de l'histoire. Sa parole est une source en expansion qui ouvre le film sur d'autres sujets, d'autres images. L'histoire du féminisme est dite avec les mots de Christine de Pizan et Hubertine Auclert et par les œuvres des femmes dans le cinéma, la photographie et la peinture à travers les siècles. Béatrice restera en vie jusqu'à la fin du film. Pendant que je montais le film à Montréal, elle m'alertait de temps en temps qu'elle ne pouvait plus attendre. Je suis allée lui montrer le film en septembre 2018, je me suis allongée auprès d'elle sur son lit médicalisé. Elle a regardé sans interruption les 97 minutes. Elle m'a regardée et m'a pris la main. Bice Béatrice Slama est morte quelques jours après. Elle me disait que nos vies, nos corps finissent et qu'il n'y a plus rien après, ni au-delà ni ciel. Elle parlait de la mort avec évidence, sans crainte. Pendant le tournage du départ de la Tunisie, elle m'a dit: « Au moment du départ, la première chose que je me suis dite: Mais je ne serai pas enterrée au Borgel ! » Les larmes me sont montées, j'ai baissé la tête, on ne voulait pas de larmes dans le film, elle a repris la parole avec sa sobriété habituelle. Cette phrase et les autres qui lui ressemblent, ne sont pas dans le film; elles sont dans le hors champs, dans une présence souterraine qui traversent tout le film. Béatrice m'a inspiré cela : ne pas trop dire, ne pas trop montrer, mettre notre histoire dans la grande Histoire. Tenir nos douleurs à l'arrière-plan pour laisser place à l'avenir. Et devant l'effondrement des idées qui l'ont portée, elle continuait à dire : « J'ose espérer un sursaut d'humanisme. »

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