20 June 2012

Annette Kouamba Matondo : Le devoir de mémoire et l’affaire des disparus du Beach


Le portrait de Sylvie Diclo Pomos par Annette Kouamba Matondo est aussi cathartique. De se rappeler de l’Affaire du Beach, un devoir de mémoire est en même temps un moyen de se libérer de ses fantômes.

Annette, une petite biographie de toi pour élaborer comment tu es venue au cinéma.
Je pense que c’est un coup du destin. Quand j’ai reçu la première fois le mail de Rufin Mbou sur l’appel à projet des talents du Congo, je n’ai pas répondu immédiatement car j’avais une formation sur l’écriture journalistique avec l’agence Syfia International. Mais grâce aux exhortations de Rufin, je me suis lancée dans cette aventure, en m’inspirant d’un premier travail que j’avais présenté à AfricaDoc en 2008. J’ai donc écris à François Fronty l’encadreur du projet et on a commencé à travailler avec ce dernier via le net étant donné qu’il se trouvait en France. J’avoue que j’ai eu du mal au départ à suivre la marche. François me rappelait chaque fois que j’étais trop dans la peau du journaliste et qu’il fallait que je me débarrasse de cette casquette, pour porter celle de la réalisatrice. Une étape difficile, mais je pense que les deux casquettes ont donné naissance à ces deux réalisations qui techniquement ont des choses à revoir mais dont je suis assez fière.

Dans ton film, On n’oublie pas on pardonne tu commences en lisant à voix haute l’intentions pour la réalisation du film à Sylvie Diclo Pomos, et bien sûr, à tes spectateurs : se rappeler de l’Affaire du Beach pour s’en souvenir parce que l’on a trop souvent tendance à oublier. « La folie de Janus » de Sylvie Diclo Pomos est le point de départ de l’histoire du film qui se déroule à travers son œuvre et ses expériences. Pour toi à la fin, le film joue un rôle cathartique. Pourquoi l’Affaire du Beach ? Et pourquoi cette approche pour la raconter?

Au départ, il s’agit du portrait de l’artiste Sylvie, puis le film a basculé. Ce n’était pas intentionnel. À un moment du tournage, j’ai commencé à me poser des questions et j’ai trouvé la réponse à la fin de ce film. Je n’avais pas fait le deuil de ma sœur. Et l’Affaire du Beach est drame qui a touché plus d’un Congolais. Beaucoup n’ont pas encore fait le deuil et espèrent même le retour de certains membres de leurs familles, d’autres se sont affolés, mais le plus déprimant est qu’il y a eu procès, et tous les préjugés coupables ont été acquittés. Aujourd’hui encore je ne peux pas vous dire pourquoi j’ai pleuré à ce moment. Il  y a des émotions qu’on ne contrôle pas, je croyais avoir oublié et non, voilà que tout le passé que j’avais enfoui quelque part dans mon cerveau a rejailli. Au départ je ne voulais pas mettre cette partie de ma vie dans le documentaire, c’est une partie de vie privée. Mais cette partie exprime la véritable question de l’oubli. Peut-on réellement oublier ou fait-on exprès d’oublier. D’où ce titre, « on n’oublie pas on pardonne », en ce sens je suis entièrement d’accord avec Sylvie, qu’il faut parler, interpeller pour qu’on ne puisse plus tomber dans les mêmes erreurs. On croit avoir fait le deuil, mais il y a certains fantômes dont on a du mal à se débarrasser. La seule thérapie reste le dialogue, partager ses soucis, ses problèmes. Je pense que c’est une première étape d’une longue thérapie, et je suis sur la bonne voie vers la guérison. Les récits que je commente au début de chaque séquence sont pour moi comme un carnet de voyage pour me saisir des moments forts et les partager, ces instants, avec tous les gens.

Qu’est-ce c’est l’histoire de l’Affaire du Beach et ses conséquences dans la société congolaise ?
En 1999, dans un souci d'apaisement après la guerre civile, le président Denis Sassou Nguesso annonce la réconciliation nationale. Il signe des accords avec la République Démocratique du Congo et le HCR [Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés] pour le retour des réfugiés qui avaient fui la guerre civile en se réfugiant à Kinshasa. Le premier retour de familles (adultes, femmes, enfants) a lieu par la « traversée du Beach » (navette fluviale qui effectue les liaisons Brazzaville et Kinshasa), et comprend environ 1500 personnes, sous le contrôle du HCR. Ces personnes sont interpellées dès leur arrivée à Brazzaville, et acheminées par convois dans des camps ou vers la Présidence selon les sources. À partir de ce moment, toute trace de ces personnes est perdue. Certaines rumeurs parlent de personnes entassées vivantes dans des containers, qui auraient été soudés et jetés dans le fleuve. Le nombre des disparus étant chiffré à plus de 300 personnes. Après ce drame, il y a eu procès qui n’a établi aucun fait au grand désespoir des familles qui ont vu les soi disant coupables être acquittés et certaines familles être indemnisées. Aujourd’hui, ces familles ignorent toujours ce qui s’est réellement passé lors de cette traversée, elles désormais attendent une justice, celle de dieu.

Pour Sylvie Diclo Pomos, tous les Congolais sont parents, donc, l’importance d’écrire cette pièce. Dans le film, on aperçoit la force de Sylvie Diclo Pomos une femme qui est aussi très généreuse, chaleureuse. Qui est Sylvie Diclo Pomos?
Peu bavarde au contacte, Sylvie explose sur scène. Comédienne, auteur et metteur en scène, elle est l’une des rares femmes artistes au Congo a osé dénoncer les maux qui minent la société congolaise, titille les autorités en place, et étale sur la place publique les sujets tabous comme l’Affaire du Beach dans la « Folie de Janus » ou en s’attaquant aux journalistes dans les « Les Griots du Boss ». Sa plume alerte et crue est une arme. Sylvie illumine les planches et fait attention à ne pas s’enfermer dans des rôles réducteurs. Femme libre, mère attentionnée, comédienne brillante et auteur engagé, voilà l’image que j’ai de cette artiste que j’admire énormément. D’ailleurs elle va se produire d’ici peu en France à Avignon du 19 au 25 juillet et à Limoges du 27 septembre au 6 octobre.

Le titre, On n’oublie pas on pardonne, vient de la réponse que Sylvie Diclo Pomos t’a faite à la fin du film quand tu exprimes avec émotion ce que la réalisation du film a provoqué dans toi-même : « de me libérer de mes fantômes, de ce passé-là ». Quelles sont les réactions des Congolais ? Est-il aussi cathartique pour eux ?
Il y a eu deux projections au niveau de Brazzaville à l’Institut français, mais il n’est jamais passé à la télévision comme les autres documentaires produits dans la série Talents du Congo. Oui, je pense que ce film a permis à plusieurs personnes de faire le deuil sur leurs morts. Ceux qui l’ont vu se sont tous sentis concernés et sincèrement je pense que la parole libère et ce film à délier les langues notamment lors des débats organisés à la suite des projections.

Entretien avec Annette Kouamba Matondo par Beti Ellerson, juin 2012.