14 August 2011

Shana Mongwanga : Pour une cause commune

Shana Mongwanga
Affiche du film : Whatever Happened to Make Poverty History?
Basée à Londres, Shana Mongwanga, cinéaste, acteur, écrivain de la République démocratique du Congo travaille entre le changement social, le théâtre, le cinéma et l’art.
Shana, vous travaillez entre différentes langues et pays, parlez-nous de vous-même.

Tout d’abord, merci beaucoup Beti d’avoir organisé cette interview et pour le Centre for the Research and Study of African Women in Cinema Study ainsi que le Blog. Tout le travail des femmes africaines dans le Cinéma n’a pas de sens que s’il peut être partagé et si les gens se sentent connectés. Et votre travail nous donne cette chance. Je vous en suis vraiment reconnaissante.

Je travaille effectivement entre différentes langues et pays. Je suis réalisatrice, actrice et scénariste. Je me rends compte que je réfléchis dans différentes langues selon les activités que je mène. Lorsque je réalise les films, je réfléchis plus en anglais car j’ai été formée et je travaille dans cette langue. Mon travail le plus récent en tant qu’actrice est également en anglais. Bien que je commence à avoir quelques bons contacts en France, et j’espère d’obtenir des projets dans l’avenir.

Cependant, lorsque j’écris, le cheminement de ma pensée est toujours en français ! Parfois je pense à l’idée d’un film, un scénario ou une situation en anglais, mais pour le transcrire le plus fidèlement possible, je dois le faire en français et ensuite m’assurer que j’ai l’essence principale en anglais. Tout le reste est en lingala et swahili. C’est comme ça !

Toutes ces différentes langues sont liées à mon parcours. Je suis née à Bukavu, l’Est du Congo (RDC), ou le swahili et le lingala sont les langues dominantes. J’ai grandi dans cette région jusqu’à l’âge de sept ans. Ensuite, nous nous sommes installés dans un petit village en Belgique. Dès que j’ai terminé mes études à l’Université Catholique de Louvain, à peine un mois plus tard j’ai quitté la Belgique et depuis je vis à Londres. Mon travail est également influencé par ce parcours: de l’Afrique à l’Europe, des langues africaines aux langues européennes, francophone et anglophone.

Vos intérêts sont très éclectiques. Vos études se concentraient sur le droit et les Sciences politiques et donc votre intérêt dans l’art vous amène à travailler à l’intersection de change social et le théâtre et cinéma.

Je pense que cela reflète ma passion pour la vie et mon intérêt pour les vies humaines et l’humanité en général. Que ce soit une campagne, un projet pour un ONG, un film, une pièce de théâtre, l’écriture, la réalisation, le métier d’acteur ou la défense des droits de l’homme. Pour moi c’est la même chose : se connecter à notre humanité commune, essayer d’améliorer la vie des gens.

Je suis intéressée par certains sujets que j’estime importants et je veux étendre et partager mes connaissances avec autrui. En espérant qu'à travers mon travail, d'autres personnes s'y intéressent aussi .

Lorsque j’étais enfant, je voulais devenir actrice, rien qu’actrice. J’ai toujours joué dans les pièces de théâtre à l’école. Mes parents m’ont fait comprendre que la vie d’acteur, spécialement une actrice belgo-congolaise est loin d'être idéal, c’est pourquoi j’ai choisi de me focaliser sur les études de Droit et de Sciences politiques au lieu d’aller au Conservatoire ou à une école de cinéma. J’étais toujours impliquée dans les pièces de théâtre même à l’Université. Je faisais partie du Théâtre Universitaire de Louvain (TUL) et jouais chaque année. Pourtant, on me donnait toujours des rôles non parlants ou des rôles de bonne à tout faire. Je détestais cela. Alors, j’ai décidé de créer ma propre compagnie théâtrale, de réaliser, écrire et produire et jouer dans mes productions. C’est comme cela que j’ai commencé. Par nécessité.

Mais j’ai également remarqué que le campus universitaire était très cloisonné. Les riches, les classes moyennes, les étudiants internationaux, les Belge-Congolais, les Belge-Européens, personne ne se mélangeait vraiment, excepté lors de rares occasions. Alors, j’ai décidé de nommer ma compagnie de théâtre, «Ebène et Ivoire». C’est un peu fleur bleue, je sais, mais le but était de décrire mon intention. Et j’ai choisi des pièces de théâtre qui pouvaient rassembler différents groupes. C’était donc autant pour la valeur artistique du contenu et d’essayer d’avoir un impact social sur le campus. Je voulais que le public, les acteurs et la narration se mélangent. Tout cela alors que je préparais ma Mémoire sur le «Les Perspectives de Réforme du Conseil de Sécurité de l’ONU».

Lorsque je me suis installée à Londres, j’ai commencé à travailler pour un ONG international avec des réfugiés et des demandeurs d’asile, dont certains en centre de détention. J’ai également continué le même cycle de mettre en scène des pièces de théâtre en faveur du changement social tout en travaillant en plein temps. Voulant m’approfondir dans ce métier, j’ai donc été au Conservatoire d’Art Dramatique à l’Academy of Live and Recorded Arts (ALRA) et également pris des cours de réalisations avec Raindance, le Documentary Filmmaking Group, et des stages dans les compagnies de production telles que Revolution Films de Michael Winterbottom.

J’ai commencé à faire des films en se rendant compte que pour avoir une image réaliste et positive des femmes africaines, nous devons avoir plus de femmes de cette origine derrière la caméra qui racontent leur histoire et font entendre leur voix. Nous existons et nous avons une voix !

Ce qui m’inquiète c’est que comme dans les peintures du 16è siècle, les Noirs et les femmes africaines sont trop souvent dépeintes comme des êtres victimes, faible et sans ressources dans les films. Au contraire, TOUTES les femmes africaines que je connais sont des personnes fortes et résistances. Je veux m’assurer que je raconte leurs histoires dans mes films. 

Vous avez créé AfricaLives! Productions en 2005, quelle est sa mission, quels sont ses objectifs et ses projets ?

Africalives! Productions est une déclaration en soi. Je voulais que ma compagnie ait un nom avec un but. Je voulais que cela signifie vraiment ce qu’il dit. C’est-à-dire Africa Lives! (L’Afrique vit !). Ce n’est pas un continent mourant, sans ressources. Une image souvent montrée dans les medias et comme certains le perçoivent. Ces stéréotypes sont entrés dans la conscience globale à travers les films également. Je suis le produit d’une origine africaine. Je suis une femme africaine-européenne qui réalise des films. Donc je voulais un nom qui reflète ce que je suis également.

Notre mission est de travailler avec les organisations caritatives, les compagnies ou des individus, afin de promouvoir un changement social positif en utilisant le film, le théâtre et l’art. Je voulais offrir le support du film pour des collectes de fonds et d’autres buts à un frais raisonnable et également faire des vrais films au sujet des personnes qui bénéficient du service des organisations caritatives et des gens qui travaillent dans ces organisations. Pas uniquement un film d’entreprise, mais un vrai court-métrage. 

C'est un succès, car certains des premiers films que j’ai fait, par exemple pour le Service Jésuite de Réfugiés sont toujours visionnés et continuent d’être une source d’inspiration pour les gens. Malheureusement le sujet est toujours une réalité en ce qui concerne le mauvais traitement qui subissent des demandeurs d’asile et des enfants dans les centres de détention à travers l’Europe, ils sont souvent traumatisés, quand ou s’ils en sortent.

Nous travaillons également dans le théâtre. J’ai écrit et produit une pièce dans laquelle j’ai aussi joué intitulé “Kenzo”, inspiré et dédié à la mémoire de Kodjo Yenga et de Tyno Kavuala. Les deux adolescents qui ont été respectivement poignardés et tués par balles à Londres. Ils étaient originaires de la communauté Congolaise et sont décédés à une semaine d’intervalle. Ce fut un moment très triste pour la communauté. Mais c’est aussi, malheureusement, un reflet des tueries à l’arme blanche et des meurtres à Londres. 

Ces jeunes hommes étaient des parents éloignés et des membres de ma famille sont venus à Londres pour assister aux funérailles ou réconforter la famille des deux garçons. Je me souviens que ma sœur m’a demandée « Que se passe-t-il à Londres ? Ils tuent les enfants ? ». En tant que Londonienne, les tueries à l’arme blanche parmi les jeunes m’inquiètent. Ce n’est pas un élément dont les touristes sont conscients, mais c’est très réel pour les jeunes garçons qui sont au front dans cette guerre-là, surtout les garçons Noirs. Dès lors, quand j’ai eu la possibilité de faire partie d’un groupe d’écriture au Royal Court Theatre de Londres, je voulais utiliser cette occasion pour explorer ce sujet et faire face à ces sentiments. C’est très inquiétants de savoir que selon les statistiques et les faits vous vivez dans un endroit ou votre enfant est susceptible d’être visé par des gangs et d’être poignardé. Je ne suis pas venue jusqu’ici pour maintenant le quitter. Alors je dois faire quelque chose. Et nous pouvons tous faire quelque chose à ce sujet !

La question que je pose en définitive est la suivante :«Que faisons-nous  pour assurer la sécurité de nos enfants, de TOUS les enfants dans les rues? Pourquoi un garçon de 13 ans ressent le besoin de transporter un couteau pour se protéger dans la 4è capitale la plus riche du monde?» En fait, j’essaye de développer des projets à partir d’une certaine perspective qui n’est pas traitée dans les médias traditionnels ou le théâtre. 

Le film Congo, une Cause Commune, de Londres à Bukavu/Congo - A Common Cause - from London to Bukavu a été bien reçu à l’échelle international y compris une présence au Festival de Cannes. D’où vous est  venue l’idée de faire ce film ? Quel a été votre processus ? Comment fut reçu le film ? 

Je mets un point d’honneur à présenter un film au Festival de Cannes chaque année. J’ai commencé en 2006, lorsque j’ai collaboré et joué dans What’s it all About, un court-métrage au sujet de la voile musulmane réalisé par Lovejit K. Dhaliwal. Alors, je suis contente cette année que ce court-métrage ait une attention internationale.

J’ai accepté de réaliser Congo – A Common Cause- From London to Bukavu parce que je connais et j’admire le travail de l’organisation Common Cause en Grande Bretagne. C’est une plateforme fantastique des femmes congolaises basées en Grande-Bretagne et au Congo DRC. 

Elles travaillent directement avec les femmes en DR Congo, étant donné que je suis née à Bukavu – Est Congo RDC-  où la Marche a eu lieu, je voulais vraiment utiliser cette possibilité et contribuer à souligner les problèmes dans la région et expliquer leur travail le plus fidèlement possible. 

Un membre de Common Cause UK qui a vu mon dernier film, Et cette campagne d’Abolition de la Pauvreté alors? (Whatever Happened to Make Poverty History?) m’a approché et demandé si je pouvais les accompagner à Bukavu pour documenter leur voyage à la Marche Mondiale des Femmes en octobre 2010. Le projet n’a pas abouti en raison du manque de financement, mais Common Cause UK et Million Women Rise ont filmé certains événements avec leur caméra portable. 

Lorsqu’elles sont revenues, j’ai visionné les images et il m’a semblé vraiment dommage de ne pas documenter ces événements du point de vue d’une femme congolaise. Tout le monde parle au nom des femmes congolaises, mais entend-on vraiment leur voix ?

Le financement est l’un de nos «challenges» en tant que réalisateur, mais encore plus en tant que réalisatrices africaines. Ce qui signifie que c’est toujours d’autres personnes qui documentent, qui racontent nos histoires. Quelle en est la véracité ? Nous devons faire des efforts pour financer et produire nos films. 

Mais j’étais très déterminée à raconter l’histoire de ce voyage, même si les images étaient de mauvaises qualités, les gens parlaient en anglais, français, lingala, swahili dans les mêmes séquences. Le contenu était suffisamment fort pour raconter ce voyage en film. Pour le faire j’ai organisé un autre tournage à Londres avec Common Cause UK et je les ai filmés lors de la manifestation du Centenaire de la Journée de la Femme, qui allait de Hyde Park à Trafalgar square. 

J’ai choisi de structurer le film comme un journal de leur voyage tel qu’il s’est déroulé : à partir du moment où elles sont arrivées à Kinshasa, leur voyage à Bukavu et Goma par bateau, lorsqu’elles se rendent aux  manifestations et la visite à Mwenga.

Mwenga est un endroit très important, car en 1999 quarante Congolaises ont été enterrées vivantes lorsqu’elles ont résisté à l’occupation de leur terre.  Mwenga n’est presque jamais mentionné dans les médias. La résistance des Congolaises et leur travail sont souvent ignorés dans les médias. 

Dans le film, on découvre le Mémorial inauguré en l’honneur de leur bravoure. Ce film est en mémoire de ces femmes qui m’ont inspiré. Le film leur est dédié. Assez de la victimisation des femmes Congolaises ! Je souhaiterais vraiment que les médias se focalisent plus sur le courage, la résistance et le travail extraordinaire que les femmes dans cette région font pour elles-mêmes ; et pas uniquement parader des célébrités avec de grosses lunettes noires portant des présumés orphelins africains pour le bien de leur propre image !

Avec les images de la manifestation à Londres, on peut voir comment les femmes anglo–congolaises sont vraiment unies dans leur combat.  Elles sont venues de Bradford, Manchester pour manifester et démontrer leur solidarité avec les femmes de l’Est du Congo. Elles ne sont pas passives attendant l’aide internationale, qui selon les mots d’un homme local congolais intervenant de façon impromptu dans le film: «cette aide n’arrive pas aux victimes de viols». 

J’ai choisi d’intituler le film “Congo, une Cause Commune, de Londres à Bukavu” (Congo, A Common Cause, from London to Bukavu), parce que le combat des femmes congolaises est une bataille commune pour toutes les femmes. Un combat pour la justice et leur droit à la vie. Dans les situations de guerre et de conflits, les femmes sont toujours les premières victimes. Le viol est utilisé comme arme pour détruire les communautés. Cela s’est produit durant les première et deuxième guerres mondiales, en ex-Yougoslavie, en Irak et en Afghanistan. De même, les hommes congolais ne se sont pas réveillés un beau jour et ont commencé à violer les femmes au Congo DRC, qui est maintenant connu comme la capitale de la violence sexuelle.

La genèse est une guerre régionale, l’avarice et l’exploitation illégales des ressources naturelles de la région, qui enflamment la guerre et ce sont les femmes qui payent le prix. Malheureusement, beaucoup de médias, et même des œuvres de charité internationales ne mentionnent que très rarement la racine du conflit et se focalisent uniquement sur des programmes d’aide sans fin, qui ne réalisent pas de solutions dans le long terme. Nous devons écouter la voix des femmes Congolaises de la région afin de comprendre et de mettre fin à cette violence.

Je voulais aussi que le film soit vu par différentes personnes en même temps et non pas sur des versions séparées, avec uniquement des sous-titres en français ou en anglais. Le double sous-titrage peut paraître lourd à première vue, mais il permet aux gens de faire l’expérience du film en même temps et d’entendre ce que les femmes disent en lingala et swahili et comprendre la vraie signification et leurs chants lorsqu’elles marchent en unisson.  

Jusqu’à présent beaucoup de personnes ont mis l’extrait du film sur leur site et ont partagé le lien du film, il a été projeté à la House of Commons et fait partie de la visite préparatoire du All Party Parliamentarian Group au Congo RDC. La BBC a diffusé un extrait lors d’une interview à l’émission GMTV également.

J’espère que beaucoup de personnes viendront voir la version longue du film lors de notre projection en Septembre. C’est court et techniquement, c’est imparfait dû aux financements limités. Mais c’est puissant et ça va droit au but. 

Merci Beti !

Entretien par Beti Ellerson, août 2011


Link:

No comments:

Post a Comment

Relevant comments are welcome - Les discussions constructives sont les bienvenues