04 June 2011

Léandre-Alain Baker parle de son film Ramata interpreté par Katoucha

La protagoniste éponyme du film Ramata de Léandre-Alain Baker confronte ses désirs irrépressibles qui ont été subitement déclenchés par un amant improbable. Elle s’entiche d’un voyou et plonge dans un univers dans lequel ses plaisirs ne supportent plus la réserve prescrite par la haute société sénégalaise. Elle finit inexorablement par l'acceptation de ses propres hantises. Désespérée et inconsolable elle s’effondre dans la folie.

Entretien avec Léandre-Alain Baker par Beti Ellerson, mai 2011
Pour faire le film Ramata, il y avait des éléments déjà en place : le producteur Moctar Ndiouga Bâ vous a demandé de réaliser le film basé sur le roman éponyme de Abasse Ndione, comment en avez-vous fait votre propre oeuvre?

Il fallait bien que j’y imprègne ma propre sensibilité, ma vision artistique des choses, mon sens de la narration. Le même roman adapté par un autre ou d’autres scénaristes, le  même film fait par un autre réalisateur aurait eu une autre tonalité, un autre rythme. Vous savez, il existe des dizaines de versions cinématographiques de Carmen d’après la nouvelle de Prospère Mérimée. Il y a même une version sénégalaise, « Karmen Geï ». Et tous ces films, tirés de la même histoire ne se ressemblent pas. Ils n’ont en commun que les personnages et encore. Pour ma part, en ce qui concerne Ramata, je suis parti de l’adaptation de Miguel Machalsky en y injectant, pour la mise en scène, mon expérience d’homme de théâtre, d ‘écrivain, ma passion pour la poésie et la peinture. Et puis, il me semble aussi que le cinéma tout comme la poésie est un art fait d’ellipses, de métaphores, de musicalité, de rythme, de rupture de ton, etc. En somme, c’est un film poétique et théâtral. Le cinéma - la technique et l’industrie en plus - est un art éminemment théâtral et poétique. C’était un choix de narration, quand on regarde bien ce film, il est corrompu par divers genre cinématographique : le polar, le western, le film d’aventure, le drame social, la comédie sentimentale, et même le conte africain, mais tout en gardant la ligne directive du drame qui se joue, qui se noue entre les protagonistes. La poésie qui s’en dégage était pour moi une façon de m’affranchir de certains archétypes du cinéma africain, du côté anthropologique que donne à voir trop souvent ce cinéma. J’ai voulu plus travailler sur les regards, les non-dits, les petites attentions du quotidien, la pitié, la compassion, l’amour de l’autre, en inscrivant le récit dans des atmosphères feutrées et nocturnes plutôt que sous le soleil écrasant et incommodant ou sous l’arbre à palabre.

Dans une interview par Fatou Kiné Sene et Thierno Ibrahima Dia jusqu’après le tournage du film, Katoucha, qui a joué le rôle de Ramata, a déclaré: « Je n'avais que le scénario du réalisateur, Léandre. Parce qu'on n'a pas voulu que je lise le livre. Et surtout parce que cette histoire a eu tellement de similitude avec ma vie. » Comment et pourquoi avez-vous choisi Katoucha pour le rôle de Ramata? 

Justement à cause de cette similitude qu’elle évoque. Au départ, j’étais un peu réticent à l’idée que ce soit elle qui incarne le personnage de Ramata à cause de cette réputation sulfureuse qu’elle drainait, - même si cette réputation était très souvent exagérée - et aussi parce que ce n’était pas une actrice, mais très vite je me suis rangé à l’avis du producteur, car ayant fait le tour des possibilités, tout me ramenait finalement vers elle. Katoucha était une femme très singulière, charismatique et d’une beauté très étrange qui rejoignait celle du personnage décrit dans le roman.

Ramata, l'épouse du Ministre de la Justice, mène une vie riche et bourgeoise, qui a l’apparence d’être heureuse et épanouissante. Toutefois, sa rencontre avec Ngor l’emmène à l'autre côté de la classe sociale et éveille en elle un désir profond—un désir insatisfait et illusoire, qui couve en elle, qu'en fin de compte Ngor n'est pas disposé ni en mesure de satisfaire. Ce besoin émotionnel irrationnel pour Ngor la plonge dans un abîme affectif qui s'effiloche en autodestruction. Et pourtant, il ne joue aucun rôle perceptible dans le film. Comment le caractère Ramata a-t-il évolué ?

Ramata est une femme blessée depuis l’enfance. Elle est constitutive de cela. La rencontre avec Ngor Ndong, son jeune amant va réveiller en elle des douleurs qui s’étaient tues. Pour l’essentielle, c’est l’histoire de la métamorphose d’une femme, de sa relation au monde et de l’univers qui l’entoure. Sa liaison avec son jeune amant, Ngor Ndong, va prendre une tournure dramatique lorsqu’un épisode secret de son passé revient la hanter. Il est vrai que leur relation est irrationnelle, mais le désir de l’autre, l’amour, ne l’est-il pas. C’est cet aspect irrationnel qui nous révèle des choses plus concrètes de leurs existences. C’est cela qui nous fait découvrir qui ils sont réellement.

Je n'ai pas encore lu le roman, mais fondée sur la description du livre et l'entretien publié avec Abasse Ndione, je vois des différences, quelques-unes, on peut dire, qui sont fondamentales. Comment avez-vous adapté le roman au cinéma? Pourquoi avez-vous fait ces choix?

Le roman est foisonnant, 500 pages environ, s’il fallait le transposer entièrement, cela nécessiterait au moins 4 heures de film et non 90 minutes comme c’est le cas. L’autre possibilité était d’en faire un film de trois ou quatre épisodes. Je crois savoir qu’Abasse Ndione envisageait cela. Mais l’économie actuelle du cinéma africain ne permet pas de se lancer dans des aventures hasardeuses. En ce qui me concerne, c’est une adaptation libre avec, bien entendu l’accord tacite d’Abasse Ndione qui co-signe le scénario. Et puis, par définition, une adaptation doit trahir l’œuvre initiale, s’en affranchir, s’en éloigner tout en conservant l’essence. Et il me semble que je n’ai pas trop trahi l’auteur, je lui ai fait quelques infidélités et bien souvent il était consentant.
Les femmes autour de Ramata: sa belle-sœur, DS, sa fille, Dieynaba, et la commerçante, Yvonne et sa fille, Diodio, sont des personnages importants dans la vie de Ramata, mais elles restent assez distantes vis-à-vis d’elle. Même la relation intrigante entre Ramata et Yvonne a été écourtée. Quelques réflexions?

Ce que vous appelez distance est une chose que j’ai beaucoup observée dans certaine situation en Afrique. Tout le monde sait qui est Ramata, tout le monde sait qu’il se trame quelque chose, mais tout le monde fait comme si tout le monde ne savait pas. Et donc personne n’en parle. Et c’est là qu’interviennent les regards, les petites attentions du quotidien, la pitié, la compassion, l’amour de l’autre… Le personnage d’Yvonne est une sorte d’alter ego de Ramata mais à l’opposé car son passé est moins lourd de conséquences. Sans pour autant que Ramata lui aie confié quoi que ce soit, Yvonne se révèle très protectrice parce qu’elle sent qu’elle est en face d’une femme fragile qui lui renvoie sa propre image. Toutes les femmes autour de Ramata savent très bien qui elle est, donc nul besoin de passer par moult circonvolutions et des palabres à n’en plus finir.
Il y a toute une litanie de personnages sénégalais féminins intrigants qui ont un rapport avec la mer: Anta dans Touki Bouki et Ramatou dans Hyènes de Djibril Diop Mambety, Mossane de Safi Faye; Karmen de Joseph Gaï Ramaka et Gagnesiri dans Tableau Ferraille de Moussa Sene Absa et même la femme stoïque jouée par Mbissine Thérèse Diop dans Emitai de Ousmane Sembene. Bien que la majorité du film ait fixé dans les zones urbaines de Dakar, la fin du film se déroule dans l'île de Gorée sur l'océan Atlantique, où Ramata passe le reste de son existence, un cadre à la fois beau et tragique ...

Oui, c’est exactement cela. C’est parce que le cadre est beau et tragique que j’y ai inscrit le début et la fin du film. Dans le roman ces séquences se passent ailleurs, entre Rufisque et Diam Nadio. Il était évident que la charge historique et émotionnelle de Gorée rendrait la solitude de Ramata plus tragique. Quant aux autres personnages des films que vous citez, cela ne m’était pas venu à l’esprit. Mais il me semble que la situation géographique de la ville de Dakar est telle qu’il est difficile d’éviter la mer. Cela va de soit. Certains lieux, par leur beauté, ont une influence inconsciente sur les films.
Malheureusement, Katoucha nous a quitté. Quels sont vos sentiments au sujet de sa mort? Comment la post-production s’est elle passée sans la présence de Katoucha ? Je suppose qu'il est important pour vous que ce film ne se transforme pas en une sorte d'hommage à elle.

Oui. C’est une grande perte. Que peut-on avoir comme sentiment au sujet de la perte d’un être ? Des regrets sans doute. Des regrets et encore des regrets. Une énorme tristesse. Une désolation. Non, le film n’est pas et ne sera pas un hommage à Katoucha, mais à travers ce film, elle est là parmi nous. Il y a un magnifique poème de Birago Diop qui dit à peu près ceci :
« Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit. » …

Quelle a été la réponse du public à Ramata?

L’accueil du public au Sénégal a été très positif et très encourageant. Le film a été vu dans de nombreux festivals et chaque fois la réaction du public était plutôt favorable. A la sortie française le 1er juin 2011, j’espère que là aussi le film trouvera son public…




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