08 July 2010

Le duo des sœurs : Cécile et Pauline

Les deux sœurs, Cécile Mulombe Mbombecinématographe, et Pauline Mulomberéalisatrice, parlent de leurs vies, de leurs expériences et du film, Tout le monde a des raisons d'en vouloir à sa mère, qu’elles ont fait ensemble.

Synopsis du film : Trois sœurs d'origine africaine et habitant Bruxelles vont être confrontés en moins de 48 heures à tous leurs complexes et leurs secrets les plus sombres. Face à ce tourbillon de la vie occidentale, une mère d'origine africaine affrontera en quelques jours ce que lui réserve ses filles.


Pouvez-vous nous parler de vous-mêmes. En tant que Belgo-Congolaises?

Cécile:

Je suis née à Kinshasa, et même si j'ai grandi en Europe, à Bruxelles, je me suis toujours sentie proche de la culture du Congo particulièrement dans le domaine musical pour lequel je suis très sensible. J'essaye de garder un œil sur l'actualité du Congo, c'est souvent difficile mais grâce à une diaspora congolaise assez présente en Belgique, on peut se tenir au courant et ne pas fermer les yeux sur certaines réalités. Dans la mesure du possible, on essaye en plus de participer aux manifestations de soutien pour les femmes et les enfants victimes de la guerre.

J'avoue que je ne me "catalogue" pas vraiment entre ces deux pays car je me sens un peu dans cette génération qui est citoyenne du monde; j'aime assez l'idée surtout grâce au Net que j'ai des influences venant des quatre coins du monde, tous horizons confondus (Afrique, Europe, Amérique, Asie).

Mes études et mon métier m'ont permis de voyager à travers l'Europe ainsi que de faire 'un passage en Amérique du Nord, également dans les Caraïbes et en Afrique, et, je me suis toujours sentie chez moi où que je sois. A chaque fois, j'amène un peu de ma belgitude pimenté de mon côté africain, ce qui me correspond parfaitement.

Pauline:

Je suis née à Kinshasa mais j'ai grandi en Belgique, ce qui fait que je n'ai pas vraiment de souvenir du Congo. J'ai passé deux semaines à Kinshasa en 1994 et n'y suis jamais retournée depuis. J'apprécie la musique et les plats congolais. J'éprouve toujours une certaine fierté lorsqu’un Congolais est reconnu pour son talent, ou sa contribution positive à la communauté. Je suis heureuse et touchée par toutes les bonnes nouvelles et les lueurs d'espoir qui peuvent venir du pays. Mais tout ce qui se passe en ce moment au Congo, surtout la guerre à l'Est, me rend absolument triste, désespérée et me met en colère.

Je suis Congolaise car je suis née là-bas, mais je ne pense pas que mes origines congolaises influencent ma conduite ou mon travail. Je pense que notre mère nous a plus donné une éducation catholique que congolaise. Peut-être qu'elle a juste manqué de temps, puisqu'elle travaillait et que nous étions la majorité du temps aux cours. À la maison, on a toujours parlé que français. À côté de ce que ma mère ait pu nous apprendre, je me suis construite par mes études, mes amis, la musique que j'écoute et les films que je regarde. Mes valeurs sont universelles, ce qui fait de moi une Belgo-Congolaise, mais également , comme disait Cécile, une citoyenne du monde.

Je pense qu'être Belgo-Congolaise rend les choses plus faciles. C'est la triste réalité pour tous les Africains, avoir une nationalité européenne ou la double nationalité vous permet de voyager et de travailler. Mais à mon avis, que ce soit en Belgique, ou en France, ou dans tout autre pays d'accueil, on ne fait pas assez pour l'intégration des immigrés.


Qu'est-ce que vous amenez à vous lancer dans le monde du cinéma ? Quelle a été votre démarche ? Vous, Cécile, comme cinématographe et vous, Pauline, comme cinéaste?

Cécile:

J'ai une passion de l'image, du graphisme depuis toute petite et griffonnais sans cesse des dessins un peu partout. Depuis, je n'ai pas vraiment lâché mon crayon qui s'est métamorphosé avec le temps en appareil photo et pour finir en caméra. C'était une évolution logique qui s'est faite au fil de rencontres et d'expériences. Mais le vrai point de départ, a été un master dans une école de cinéma à Madrid en cinématographie pour devenir directeur de photo pour le cinéma et la télévision.

Je me suis dirigée très vite dans un travail de recherche sur la lumière et l'ombre et fait mes premières dents sur les plateaux de publicités comme éclairagiste pour une entreprise de locations de cinéma à Colmenar Viejo, à Madrid.

De retour en Belgique, j'ai fait un parcours assez 'guérilla' mais qui m'a donné une polyvalence de taille.

Actuellement, je suis arrivée en plein 'boom' du numérique face au film, les budgets plus réduits; souvent, on multipliait les casquettes sur un même plateau, électro, assistante caméra, cadreur, accroissant mon expérience sur des productions, de grands à micro budget, jusqu'à être appelée comme gaffer dans des métrages plus importants et pouvoir faire ainsi mes premiers travaux de directrice photos dans des courts -métrages dont celui de Ladi Bidinga "Lula" qui a bien tourné dans les festivals d'Europe et d'Afrique, dont celui du FESPACO 2009.

Pauline:

Cinéphile depuis toujours je voulais travailler dans l'industrie du cinéma, plus particulièrement dans la production. Je ne connaissais aucune école ou université qui proposait ce genre de cursus; la plupart des écoles ont des filières pour les acteurs ou techniciens. Finalement j'ai appris que l'Université Libre de Bruxelles (ULB) offrait une Licence en Cinéma. À côté du cours de production, j'ai pu étudier l'histoire du cinéma, et ai également appris à analyser les films, à écrire.

Mon diplôme en poche, j'ai travaillé deux ans en tant qu'assistante de production pour Kathleen de Bethune à 'Simple production'. On produisait des documentaires que j’aimais beaucoup mais je voulais m'essayer à un autre genre. J'ai donc décidé d'aller à Londres pour travailler dans la fiction. J'ai travaillé bénévolement dans des films no budget. En travaillant dans la Guérilla des filmmakers, j'ai commencé à réaliser que tout le monde pouvait se lancer et tant qu'à faire je devais mettre mon énergie dans mes propres réalisations
.

"Tout le monde a des raisons d'en vouloir à sa mère", c’est intéressant comme titre? Pouvez-vous dire quel en est l’origine?

Cécile:

Je pense que Pauline pourra mieux vous répondre que moi. Le titre existait déjà à ma première lecture du scénario et, la question a très vite été de savoir s'il fallait de le changer ou non. Finalement, elle n'a pas cédé et je pense qu'elle a bien suivi son instinct car le titre porte bien le film.

Pauline:

Le titre c'est texto ce que raconte le film. A coté des films de Spike Lee, mon inspiration me vient surtout des films français qui ont des titres très poétiques et qui collent parfaitement à l'histoire du film. J'ai voulu ce titre pour évoquer ce genre de film que j'aime beaucoup comme « Chacun cherche son chat» de Cédric Klapish, «Ceux qui m'aiment prendront le train» de Patrice Chéreau, «De battre mon cœur s'est arrêté» de Jacques Audiard. On avait peur que le titre soit un peu long mais je me suis rappelé des films avec Pierre Richard que j'ai regardé toute mon enfance et qui avait des titres extraordinaires presque qu'aussi long que le mien, «Le grand blond avec une chaussure noire», «A gauche en sortant de l'ascenseur», «La raison du plus fou est toujours la meilleure»...


Le film aborde la question d’identité, qui est très courante en Europe en ce moment. Comment avez-vous travaillé concrètement pour reproduire cela dans le film?


Cécile:

Disons que du point de vue de mon travail, qui, était aussi celui de productrice a été lié à la préparation à celui de l'assistant réalisateur, Stéphane Collin, et notre exigence était de ne pas tomber dans les clichés assez éculés de l'Africain, du Noir, et d'être le plus réaliste possible dans la perception de l'espace et des personnages, sans tomber dans le communautaire. On essayait nous-mêmes de comprendre ce que c'est que d'être une femme africaine en Belgique. Pour nous, elle est moderne, contemporaine; c'est en tout cas cela que j'ai essayé de transmettre à l'écran avec le travail de l'image.

Je dis Africaine, et pas Congolaise car on n'a pas défini de quel pays était cette famille, on savait qu'elle avait une histoire commune avec beaucoup de famille immigrée, même si dans la scène du repas ainsi que dans les costumes et les mets il y a une grande influence de l'Afrique centrale, plus précisément du Congo.

Les actrices étant originaires de différents pays d'Afrique, et même, la richesse de l'équipe technique qui était assez métissée, je crois que cela a été une grande victoire que d'avoir amené toutes ses personnes à partager le temps du tournage et de sa préparation, la vie parfois même intime de ses femmes qui, souvent, étaient à des kilomètres d'eux. Chaque membre de l'équipe a apporté son expérience et sa propre compréhension des choses qui nous ont bien souvent amené dans des débats que nous étions loin d'imaginer lors de la constitution de l'équipe.

Pauline:

La question d'identité est déjà résolue dans le film car elle n'est pas le thème central du film. Les héroïnes n'ont pas de problème d'identité. Elles respectent leur héritage culturel mais elles veulent vivre leur vie comme elles l'entendent. Le film se place principalement sous l'angle de la tolérance voire de l'acceptation, par leur mère, de leur multi-culturalisme et de ce qu'elles sont réellement.

La plus jeune veut s'amuser et s'épanouir en profitant de la vie sociale et culturelle européenne.

La seconde veut utiliser toutes les possibilités pour résoudre son problème même si cela veut dire faire des choses impensables dans sa culture d'origine comme prendre la pilule contraceptive étant, adolescente.

L'aînée même si elle ne montre pas ouvertement son homosexualité, elle sait qu'elle est gay à 100 pour cent.

Comme elle est l'aînée, elle se sacrifie en quelque sorte ; elle sait que les espoirs de sa mère reposent sur elle et que sa mère ne tolèrera jamais une telle entorse à ses propres valeurs.

Pour moi la mère représente le continent africain qui doit changer sa mentalité, sa façon de se gérer pour arriver à une coexistence adéquate entre sa culture et le monde actuel.

Si la mère changeait un peu sa façon de voir les choses, elle ne serait pas en conflit avec ses filles car un dialogue serait possible et, elles seraient toutes plus heureuses.

Vous travaillez ensemble en général ou sur ce film précisément? Comment ça se passe entre vous au niveau de la conceptualisation de ce film?


Cécile:

C'était notre premier projet ensemble, même si dans le passée on s'est aidé dans nos travaux respectifs.

J'avoue que j'espère n'avoir pas été trop 'despote'. J'ai essayé d'amener assez tôt juste le côté technique, le choix de l'équipe technique, du matériel et tout le processus qui a consisté à passer du scénario à la concrétisation du film, du tournage.

J'ai laissé à Pauline le côté créatif, de faire en sorte que ce soit ses idées qui soient amenées à l'écran, dans sa vision du jeu des acteurs, dans les décors, la mise-en scène et, avec toutes ses données, de voir comment dans la mesure du possible le réaliser en terme de film. On a fait le repérage des décors ensemble ainsi que le découpage technique.

Dans ma façon de travailler, je n'ai rien changé des rapports que je peux avoir avec d'autres réalisateurs même s'il est vrai qu'il y avait une meilleure connaissance du mode de fonctionnement du réalisateur dans ce cas-ci puisque nous nous connaissons depuis toujours (sourire). Mais toutes les deux on voulait de la qualité, même si le budget ne nous permettait pas vraiment de laisser libre court à notre fantaisie, on-nous avons quand même relevé le défi en ne tombant pas dans la facilité. Nous voulions à tout prix garder le 'professionnal touch' que ce soit pour nous ou l'équipe avec laquelle nous avons travaillé.

Pauline:

Je suis très heureuse de travailler avec Cécile car je la trouve très douée. Je l'ai tout de suite choisie comme Directrice de Photo. J'avais déjà écrit le scénario et je le lui ai fait lire. Comme il lui plaisait je lui ai demandé de m'aider à mettre le projet en route.

Elle a beaucoup plus d'expérience que moi donc c'est vrai qu'elle a dû porter toutes les casquettes. Elle s'est occupée du budget, d'engager l'équipe technique. Même artistiquement, elle m'a donné absolument tout ce que je voulais. Je lui expliquais quel genre de plans, de mouvements de caméra et effets je voulais. Elle me comprenait parfaitement, elle faisait des petits dessins et rendait tout ça possible.

J'ai pu beaucoup déléguer car je savais qu'elle n'allait pas faire quelque chose que je n'allais pas aimer. On parlait à deux voix à l'équipe et aux actrices, ce qui je pense a bien détendu l'atmosphère. Comme je ne suis pas très technique, quand je disais des bêtises, Cécile me servait de parachute, ce qui faisait rire l'équipe. Seule Cécile aurait pu savoir que lorsque je disais vert, en fait, je voulais dire bleu.


Monique Mbeka Phoba qui est elle-même cinéaste, a joué dans le film. Donc, elle est passée de l’autre côté de la caméra. Quels ont été vos rapports et vous a-t-elle apporté un plus de part son expérience?

Cécile:

Je garde un très bon souvenir du travail avec Monique, une belle expérience humaine.

Elle a vraiment amené à la maman une humanité, qui est vraiment très bien perçu jusqu'à présent.

Il y a eu beaucoup de questionnement durant la préparation. Il a fallu trouver l'équilibre entre la maman qu'elle est elle-même dans la vie de tous les jours et la femme qui, comme nous, vit dans cette dualité belgo-congolaise.

Par conséquent le défi a été de trouver dans tous ces apports le ton juste; et son feeling était le bon, et j'avoue d'être très contente de cette collaboration et de m'être enrichie moi-même de son expérience de vie et de cinéaste.

Pauline:

Ce fut vraiment un plaisir de travailler avec Monique. Dès le départ, elle a été intéressée par le sujet. J'ai pu bénéficier de sa façon d'approcher les sujets; elle a posé des questions qui m'ont fait réfléchir sur les personnages, et les définir de manière plus précise.

Monique a nourri le personnage d'une façon incroyable. Elle a fait grandir le rôle de la mère et lui a donné une place centrale telle que je l'avais imaginé dans le script.

J'étais ravie car malgré son expérience de réalisatrice, elle m'a laissé la diriger et avait cette envie d'apprendre, et d'expérimenter, ce qui a vraiment apporté beaucoup.

Toutes les personnes avec lesquelles je discute me disent que Monique est formidable et très naturelle, et je pense que c'est ce naturel qui plaît aux gens dans le film.


Le film était sélectionné au Festival du film Panafricain de Cannes 2010, et au 63ème Festival de Cannes au Short Film Corner, comment a-t-il été reçu?

Pauline:

Les réactions furent très positives. Les gens qui l’ont vu trouvent que c'est un film de qualité et l'aiment beaucoup.


Cécile:

On a eu un bon accueil dans les deux festivals. Deux publics différents qui montrent que le message du film est assez universel. Je pense que c'est en cela que c'est une belle récompense et une réponse pour ceux qui veulent enfermer le film que dans une histoire dite 'africaine'.

On a récemment participé au Rob Knox Festival en Angleterre où le film a reçu le prix du meilleur scénario, pour le seul film en langue non anglaise, c'est une très belle récompense également.


Vos projets futurs?

Pauline:

J'aimerais tourner un long métrage à présent.

Cécile:

Personnellement, je continue mon aventure de cinématographe et cadreuse sur d'autres projets, entre production audiovisuelle et cinématographique. J'ai récemment fait l'image d'un court-métrage sur la folie dans le cadre d'un huis-clos. Cela a été une aventure assez sympa.

En ce qui concerne des projets futurs à deux, Pauline prépare son long, donc, pourquoi ne pas recommencer l'aventure ensemble.

Entretien avec Cécile Mulombe Mbombe et Pauline Mulome de Beti Ellerson, juin 2010

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